En 2025, la France fait face à une pénurie de médicaments sans précédent, un problème qui touche particulièrement les personnes âgées, grandes consommatrices de traitements pour des maladies comme le diabète ou le cholestérol.
Cette crise, marquée par des ruptures de stock fréquentes, est liée à la délocalisation de la production pharmaceutique en Asie, à des négociations tarifaires défavorables et à des enjeux environnementaux.
Alors que le gouvernement explore des solutions pour relocaliser la production et renforcer la souveraineté sanitaire, les défis liés à la pollution industrielle posent question.

Un problème grave surtout les seniors
Vous êtes-vous déjà retrouvé dans une pharmacie, prescription en main, pour apprendre que votre médicament n’est pas disponible ? En France, ce scénario est devenu courant. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), 4 925 déclarations de ruptures ou risques de ruptures de stock ont été enregistrées en 2023, contre 2 160 en 2021. Cette situation touche particulièrement les personnes âgées, qui dépendent souvent de traitements quotidiens pour gérer des maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension ou le cholestérol.
Pourquoi les seniors sont-ils si vulnérables ? Tout simplement parce qu’ils consomment une grande quantité de médicaments dits « matures » – ces traitements anciens, souvent génériques, qui sont essentiels mais peu rentables pour les laboratoires. Quand les stocks s’épuisent, ce sont eux qui se retrouvent sans solution, parfois au prix de leur santé. Mais d’où vient ce problème, et comment en est-on arrivé là ?
Les raisons des pénuries : une dépendance mondiale
Une production délocalisée en Asie
La France, autrefois un leader européen de la production pharmaceutique, a vu 80 % de ses principes actifs – les molécules essentielles des médicaments – délocalisés en Asie, principalement en Chine et en Inde, au cours des 30 dernières années. Selon un rapport du Sénat de 2023, 60 % du paracétamol mondial, 90 % de la pénicilline et 50 % de l’ibuprofène sont produits dans ces deux pays. Pourquoi ? Les coûts de production y sont bien plus bas, et les normes environnementales moins strictes qu’en Europe.
Mais cette délocalisation a un revers. Quand un site de production asiatique rencontre un problème – comme une fermeture pour non-conformité environnementale ou une augmentation soudaine de la demande mondiale – la France se retrouve en bout de chaîne, avec des stocks limités.
Des négociations tarifaires qui désavantagent la France
La France est l’un des plus gros consommateurs de médicaments en Europe, mais elle négocie des prix très bas pour garantir l’accès aux soins via l’Assurance maladie. Si cela bénéficie aux patients, cela rend la France moins prioritaire pour les laboratoires pharmaceutiques. En cas de stock limité, ces derniers privilégient les pays qui paient plus cher, comme l’explique Philippe Besset, président de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF) : « Les pays qui payent la matière active plus cher passent avant ».
Une demande mondiale en hausse
La demande mondiale de médicaments croît rapidement, notamment dans les pays émergents comme la Chine et l’Inde, où les systèmes de santé se modernisent. Selon la Fédération internationale du diabète, le nombre de personnes atteintes de diabète devrait passer de 537 millions en 2021 à 783 millions en 2045, augmentant la pression sur les stocks mondiaux. Les traitements pour le cholestérol ou l’hypertension, très utilisés par les seniors, sont particulièrement touchés.
Des normes environnementales strictes en Europe
Les normes environnementales européennes, bien que nécessaires, compliquent la production locale. Les usines pharmaceutiques doivent respecter des règles strictes en matière d’émissions, ce qui augmente les coûts. En Asie, ces contraintes sont souvent moins rigoureuses, ce qui pousse les laboratoires à délocaliser. Par exemple, en 2017, la Chine a fermé 14 000 sites chimiques pour des raisons environnementales, entraînant des ruptures de stock mondiales.
L’impact sur les personnes âgées : un enjeu de santé publique
Les pénuries de médicaments ont des conséquences directes sur la santé des personnes âgées. Une étude de 2023 de France Assos Santé révèle que 37 % des Français ont déjà été confrontés à une rupture de stock en pharmacie, une hausse de 8 % par rapport à 2022. Pour les seniors, l’indisponibilité de traitements essentiels peut entraîner :
- Une aggravation des maladies chroniques : Sans insuline ou antihypertenseurs, les complications liées au diabète ou à l’hypertension peuvent s’aggraver rapidement.
- Des erreurs médicamenteuses : Les substitutions par des alternatives moins adaptées peuvent causer des effets secondaires ou une perte d’efficacité.
- Un stress psychologique : L’incertitude d’obtenir ses médicaments pèse lourd sur les patients.
Un exemple frappant est celui de l’amoxicilline, un antibiotique clé, dont les formes pédiatriques et adultes ont manqué en 2023, forçant les pharmaciens à rationner ou à chercher des alternatives.
Les solutions envisagées : vers une souveraineté sanitaire ?
Relocaliser la production en France
Le gouvernement a lancé le Plan France 2030, qui vise à rapatrier la production de médicaments essentiels. Par exemple, une usine de paracétamol « 100 % française » ouvrira en 2025 près de Toulouse, portée par le groupe Ipsophène. Ce projet prévoit de produire 4 000 tonnes de paracétamol par an. De même, Novo Nordisk investit 2 milliards d’euros pour agrandir son usine d’insuline à Chartres, créant 500 emplois.
Mais relocaliser n’est pas simple. Construire de nouvelles usines demande du temps, des investissements massifs et des compétences spécialisées. De plus, les coûts de production en France restent élevés par rapport à l’Asie.
Renforcer la coopération européenne
L’Union européenne travaille à harmoniser ses politiques pharmaceutiques. Le règlement UE n° 2022/123, entré en vigueur en 2022, renforce le rôle de l’Agence européenne des médicaments dans la surveillance des pénuries. Des propositions incluent :
- Une liste de médicaments critiques à produire en priorité.
- Des incitations financières pour encourager la production locale.
- Une harmonisation des calendriers vaccinaux pour faciliter les importations en cas de rupture.
Améliorer la gestion des stocks
Depuis 2019, la France impose aux laboratoires des plans de gestion des pénuries pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Ces plans incluent des stocks de sécurité et des déclarations anticipées de risques de rupture. En 2024, un plan blanc « médicaments » a été annoncé pour sécuriser les approvisionnements en cas de crise.
Réévaluer les prix des médicaments matures
Les médicaments anciens, essentiels pour les seniors, sont souvent peu rentables en raison de leurs prix bas. Certains experts, comme ceux du Sénat, suggèrent de revoir les négociations tarifaires pour rendre leur production viable en Europe, sans compromettre l’accès aux soins.
Les défis environnementaux : un frein à la relocalisation ?
L’industrie pharmaceutique est l’une des plus polluantes. En Inde, par exemple, la production de médicaments a des impacts dévastateurs sur l’environnement, notamment sur l’eau potable. Des études montrent que les rejets chimiques des usines contaminent les rivières, affectant la santé des populations locales. En Europe, les normes strictes limitent ces impacts, mais elles rendent aussi la production plus coûteuse.
Comment concilier souveraineté sanitaire et protection de l’environnement ? Une piste est d’investir dans des technologies de production plus propres, comme la chimie verte, qui réduit les émissions tout en maintenant la compétitivité. Cependant, ces innovations demandent du temps et des fonds.
Comparaison : Production en Asie vs. Relocalisation en France
Critère | Production en Asie | Relocalisation en France |
---|---|---|
Coût de production | Faible (bas salaires, normes souples) | Élevé (réglementations strictes, salaires) |
Normes environnementales | Faibles, pollution importante | Strictes, impact limité |
Délais d’approvisionnement | Longs, risques de rupture | Courts, meilleure réactivité |
Souveraineté sanitaire | Dépendance forte | Autonomie renforcée |
Emplois | Peu d’impact local | Création d’emplois spécialisés |
Que peut-on faire en attendant ?
En attendant que les solutions à long terme portent leurs fruits, voici quelques actions concrètes pour les patients et les professionnels de santé :
- Pour les patients : Parlez à votre pharmacien ou médecin pour trouver des alternatives en cas de rupture. Ne stockez pas de médicaments, car cela aggrave les tensions.
- Pour les pharmaciens : Collaborez avec l’ANSM pour signaler les ruptures rapidement et accéder à des importations d’urgence.
- Pour les pouvoirs publics : Accélérer les formations pour recruter des experts dans la production pharmaceutique, un secteur en manque de main-d’œuvre qualifiée.